Martial Bléger
Théâtre

Les valises 2 / Pièce courte 5

Une valise trône au beau milieu du salon. Monsieur rentre du travail.

LUI (il ôte sa veste, puis avise soudain la valise) - C'est quoi cette valise ? Hein ? Il y a un invité ? (Mathieu, le fils, traverse la pièce avec des écouteurs sur les oreilles.) Mathieu, tu peux me dire si ...? (Le fils sort. Puis sa fille traverse la pièce pendue au téléphone) Sonia, elle est à toi cette... (Elle lui fait un signe négatif.) Quelqu'un peut m'expliquer ce que fait cette valise au milieu du salon ? (Mathieu repasse en skate.) Merde ! (La regardant plus attentivement.) Elle est à nous cette valise. Il y a quelqu'un qui part ? Chérie ? (Sonia repasse en mangeant un sandwich, mais toujours pendue au téléphone.) Si elle n'appartient à personne, je considère qu'il s'agit d'un bagage abandonné et j'appelle les démineurs.

Sa femme entre et vient s'asseoir en se faisant les ongles.

ELLE - C'est toi qui brailles comme ça ?

LUI - Oui, enfin non, je ne braille pas. Je voudrais juste savoir ce que fait cette valise au beau milieu du salon.

Silence.

ELLE - Il y a eu comme un vote.

LUI - Un vote ? Quelle sorte de vote ?

ELLE - Un vote te concernant.

Silence.

LUI - Un vote me concernant ?

ELLE - C'est ça. Une sorte de référendum.

LUI - Et quel était l'enjeu de ce référendum ?

ELLE - Toi.

Silence.

LUI - Quand tu dis : moi, cela veut dire : ma personne ?

ELLE - Absolument.

LUI - Puis-je te demander quelle était la question soumise lors de ce scrutin ?

ELLE - En trois mots : Lui ou moi ?

LUI - Et lui, c'est moi...

ELLE - Je vois que tu as compris.

LUI - Donc, comme il semblerait que je n'ai pas gagné une boite de chocolats, j'en conclus que dans cette valise, il y a...

ELLE - Tes affaires.

LUI - Ah !

ELLE - Trois voix pour, zéro contre. C'est toi qui pars.

LUI - Tu as fait voter les enfants contre moi ?

ELLE - Pas du tout. Ils ont voté pour qui ils voulaient.

LUI - C'est amoral !

ELLE - Mais démocratique.

LUI - Mathieu a voté contre moi ? Contre son propre père !

ELLE - Sans hésiter.

LUI - Qu'est-ce qui a bien pu le décider à agir ainsi ?

ELLE - La bouffe.

LUI - Quoi, la bouffe ?

ELLE - Si c'était moi qui partais, il aurait fallu qu'il mange de ta cuisine.

LUI - Qu'est-ce qu'elle a ma cuisine ?

ELLE - Tu ne sais faire que les œufs brouillés.

LUI - C'est très bon, les œufs brouillés !

ELLE - Donc, il a voté pour moi.

LUI - Et la grande tige qui passe sa vie au téléphone aussi ?

ELLE - Tu veux dire, Sonia ?

LUI - C'est ça, ta fille.

ELLE - Pour des raisons plus motivées, Sonia, qui est ta fille aussi, a voté pour moi.

LUI - Et vous pensez tous réellement que je vais partir de chez moi comme ça ?

ELLE - Oui.

LUI - Sans demander d'explications ?

ELLE - Non.

LUI - Je suis en droit d'exiger des explications, nous sommes d'accord ?

ELLE - En fait, nous préférerions que tu trouves les réponses toi-même.

Silence.

LUI - Les réponses...

ELLE - Oui.

Silence.

LUI - Les réponses... à quoi ?

ELLE - Ben... aux questions... Qu'il est bête !

LUI - Mais à quelles questions ?

ELLE - Aux questions que tu devrais te poser.

LUI - Mais je ne m'en pose pas de questions, moi !

ELLE - Je sais.

LUI - Comment veux-tu que je trouve des réponses à des questions que je ne me pose même pas ?

ELLE - En prenant ton temps, du recul, en emmenant cette valise et en partant ailleurs.

(A suivre...)